Angleterre

Manchester : musarder dans le Northern Quarter

Par Arnaud Idelon / Publié le 24.10.2016

Les clichés ont la vie dure. En 2015, Manchester devenait la ville la plus agréable à vivre d’Albion, notamment pour les jeunes fuyant les loyers exorbitants de la capitale londonienne. Pourtant, le nom de l’emblématique ville du Nord évoque toujours aux touristes étrangers la cité ouvrière des années Thatcher, entre briques rouges, ciel gris, et morosité économique. Traitement injuste, qui ne résiste pas aux premiers instants de déambulation, au sortir de la gare Picadilly, à travers le Northern Quarter, quartier frémissant et emblématique du renouveau de Manchester.

Manchster, Northern Quarter (Photo: Heather Cower via Flickr)

De Cottonopolis à la BBC

Le destin de Manchester est inévitablement lié à la Révolution Industrielle, qui l’a vu devenir sous l’époque victorienne le carrefour mondial de l’industrie textile, développant profondément la ville et lui attribuant le sobriquet de « Cottonopolis ». Elle est ainsi considérée au XIXe siècle comme la ville la plus industrialisée du monde, et voit ses fameux faubourgs faits de briques rouges sortir de terre à perte de vue.

De ces transformations brusques, Manchester a tiré une renommée mondiale. Mais celles-ci portaient également les germes d’une crise, qui atteindra son paroxysme près d’un siècle plus tard. Les années de désindustrialisation, sous l’égide sévère de Margaret Thatcher, verront une grande partie de sa population souffrir de la misère et du chômage. Pourtant, les années 2000 marquent le renouveau de la ville, qui affiche alors la plus forte croissance du pays. C’est à ce moment que de nombreuses entreprises choisissent d’investir dans le potentisel humain et économique de la ville. Le secteur financier, tout autant que les milieux médiatique et culturels, constituent aujourd’hui autant de secteurs qui font fleurir à nouveau la ville. Paradoxalement, même au plus fort de la crise, son influence sur le reste du pays n’avait pourtant pas diminué !

« Madchester », bouillon de culture

Si la résurrection économique est récente, sa foisonnante activité culturelle, et notamment musicale, a marqué durablement l’histoire anglaise et même occidentale. Oasis, The Smiths ou encore New Order composent les figures de proue d’un panthéon mythique qui demeure aujourd’hui révéré par le grand public autant que les spécialistes. Cette richesse se révèle à chaque coin de rue du Northern Quarter, où foisonnent salles de concerts légendaires et succulentes cantines bio où se retrouvent les créatifs entrepreneurs de la ville. Qu’on se retrouve en journée sur les bancs de Soup Kitchen à déguster soupes et salades maison autour des hipsters sapés et affairés, ou la nuit tombée dans une soirée jazz où s’organise un jam impromptu, le Northern Quarter offre à toute heure cette impression vivifiante et créative d’une ville en pleine réinvention.

Les sens éveillés par ces premières découvertes, nous continuons sur Stevenson Square notre immersion dans le quartier nord. Coiffeurs lookés et tatoueurs ont pignon sur rue, et l’on découvre, coincé entre deux bars pour l’heure assoupis, la minuscule entrée d’Eastern Bloc. Ce discret et charmant salon de thé, dont les gâteaux nous réconcilient avec la pâtisserie anglaise, abrite également un magasin pointu de vinyls, si pointu d’ailleurs qu’il n’est pas rare de voir des sommités mondiales de la techno y passer incognito ou même improviser un set. Un peu plus haut sur Oldham Street, le vénérable Castle est une institution. Archétype du pub anglais, il accueille depuis des dizaines d’années les groupes de la scène mancunienne émergente, dans une ambiance chaleureuse et houblonnée. Tout autour, Night & Day, Bands on the Wall ou le jazzy Matt & Phreds constituent l’écrin de cette scène bouillonnante.

Un Stew « new-look » chez les rosbifs

Si dans le Northern Quarter le jazz est fusion, la cuisine l’est tout autant. Loin des à priori d’une cuisine longtemps dédaignée – Pierre Desproges l’exprimait avec humour : « l’anglais mange du gigot à la menthe, du thé à la menthe, voire de la menthe à la menthe » – Manchester a évolué et déploie aujourd’hui une cuisine métissée et surprenante. Les tapas chics d’Evuna, burgers inventifs d’Almost Famous, excentricités sud-américaines du Luck Lust sont des exemples parmi la richesse culinaire du quartier, quand un festival de street food ne s’empare pas des rues pour offrir des expériences encore plus épatantes! De Picadilly Gardens, le centre-ville, à la lisière d’Ancoats, quartier futuriste tout juste sur pied, le Northern Quarter pousse ainsi à la découverte, pour peu qu’on veuille bien s’aventurer au fil de ses rues les moins fréquentées.

Au bout de la balade, le Northern Quarter et ses vieilles briques s’ouvre sur un monde neuf : Ancoats et ses bâtiments rutilants aux allures de cité avant-gardiste. A l’origine marginal et déserté, repaire de night clubs underground et d’usines fantomatiques, Ancoats a subi lors des dix dernières années un profond lifting, pour en faire l’un des nouveaux quartiers en vue de la ville. Résidences cossues et modernes côtoient ainsi, le long de canaux, les vestiges de la gloire industrielle de Manchester, tirant de cette association étrange le sentiment presque irréel d’une suspension du temps. Passé l’activité du centre, on se prend alors à musarder dans les rues presque vides, pour contempler la quintessence d’une ville qui a su plusieurs fois contre toute attente, se réinventer.