Mongolie : Le désert de Gobi, entre ciel et terre
Coincée entre les géants russe et chinois, la patrie de Genghis Khan est parvenue à conserver d’innombrables trésors. En tête de ceux-ci, le Gobi et sa steppe mythique. Mais ce désert, le cinquième plus grand du monde, dissimule bien d’autres surprises.
L’aurore est envoûtante pour ce premier réveil. À quelques encablures au sud d’Erdenedalai, une bourgade du bout du monde jaillie d’entre les plaines, les lueurs de l’aube subliment le paysage et l’atmosphère. Des volutes de brume semblent habitées par des silhouettes et annoncent d’emblée des heures pleines de poésie.
Pour commencer du bon pied la journée d’expédition, un petit déjeuner adapté est de rigueur : fromage de brebis, gâteaux secs et eau chaude aromatisée. Le tout servi dans la yourte, l’habitation typique des nomades. Cette tente circulaire blanche représente un emblème de la Mongolie identifiable dans le monde entier, parfois même exporté dans des contrées beaucoup moins sauvages. Sur place, en plein désert de Gobi, c’est surtout la garantie d’une immersion incroyable dans le mode de vie des autochtones.
Il est temps de quitter le campement. D’origine russe, le minivan gris perle vrombit puis pétarade. Le chauffeur apostrophe gentiment les six passagers pour qu’ils prennent place promptement.
Le fantasme du Grand Canyon
L’aïmag (province) de Dundgovi (“Moyen-Gobi”) constitue la partie septentrionale du désert. Il en est la porte d’entrée, la zone la plus facilement accessible, mais n’est pas pour autant dénué de beautés. Au premier rang de celles-ci, le relief façonné par un rude climat semi-aride. Le minivan trace son chemin, essentiellement rectiligne, dans la steppe balayée par le blizzard ou le karaburan. Ici, une colline se dresse pour exhiber ses formes intrigantes. Là, un troupeau de chevaux sauvages galope telle une seule bête, poursuivie par un nuage de poussière opiniâtre. Cette nature exotique s’offre comme une chaleureuse invitation à pénétrer plus profondément encore les mystères du Gobi.
Et pour cela, l’Ömnögovi, immédiatement au sud, se révèle être la terre promise. Voilà l’essence même du désert mongol, la région dans laquelle la concentration d’attraits est la plus sidérante. Bayanzag en est un superbe exemple. Avec ses “falaises de feu”, cet ensemble de formations rocheuses aux lignes fantasmagoriques rappelle le Grand Canyon états-unien. Le sable rougeoyant, illuminé par un soleil régulièrement redoutable, achève de parfaire le photogénique théâtre. L’endroit n’est pas seulement captivant de l’extérieur ; quelques grottes abritent des œufs de dinosaures, exhumés sur le site tout au long du XXe siècle. En découvrant ces reliques, on se laisse imprégner par l’ambiance anachronique. Ce voyage dans le temps emmène à une époque où l’environnement n’était, en réalité, pas très différent. Car, aujourd’hui, Bayanzag est demeuré un lieu serein, poignant, envoûtant, entouré de quelques lacs où errent des chameaux nonchalants.
Les dunes chantantes et la bouche du vautour
Les mêmes animaux ont envahi les abords de Khongoryn Els, à une centaine de kilomètres au sud-ouest, dans le parc national de Gurvan Saïkhan. Les bêtes attendent les visiteurs afin de les conduire aux pieds des fameuses “dunes chantantes”. Il est ensuite fortement conseillé de gravir ces augustes étendues de sable immaculé et de batifoler dans leurs méandres. Le point de vue, de là-haut, est tout bonnement ébouriffant. Assis au sommet, on récupère de l’ascension en dégustant le panorama sur ces prouesses de la nature, qui s’étendent sur près de 100 kilomètres de long. De quoi se perdre dans l’immensité des dunes, qui peuvent culminer à 300 mètres. La nuit dans la yourte avec une telle toile de fond garantit un mémorable repos, bien mérité. Le dîner est comparable à ceux des autres jours – bouillon, pommes de terre, morceaux de mouton – mais cette soirée à Khongoryn Els a un je-ne-sais-quoi qui la rend si particulière. Peut-être les bougies, disposées en nombre près des lits de camp ; ou bien le parfum saharien qui enlace ce décor inattendu et ses alentours ; voire les légendes ancestrales contées par notre hôte au coin du poële… Et bûche après bûche, ces instants se gravent dans l’éternité de nos mémoires, dans l’imaginaire collectif du Gobi.
A contrario, c’est la glace qui caractérise le mieux Yolyn Am. Elle y recouvre le canyon parfois jusqu’à la fin du mois de juillet. Le spectacle polaire, inouï, est digne d’un théâtre antarctique qui givre les doigts autant qu’il enflamme les sens. Mais ce tableau est tout autant appréciable quand les empreintes de l’hiver ont filé. Les pikas, de petits herbivores à mi-chemin entre l’écureuil et la souris – pourtant de la famille des lapins ! –, gambadent en sifflotant (littéralement) au gré des touffes d’herbe et de la rocaille. Le lit de la rivière s’engouffre entre des parois abruptes qui semblent le protéger. La descente de l’étroit cours d’eau se fait à pied et donne ainsi tout loisir pour observer paisiblement la topographie intimidante de cette gorge, dont le nom signifie “bouche du vautour”.
À une cinquantaine de kilomètres de cet écrin est implantée la capitale de l’Ömnögovi, Dalandzadgad. Une parenthèse quasiment urbaine dans une folle épopée désertique. Et une étape qui rime surtout avec un retour à une certaine forme de confort. Au programme, pour ce “grand luxe” retrouvé : douche publique après plusieurs jours d’ablutions succinctes, achats de première nécessité dans une échoppe dérobée et même bière Chinggis dans un troquet aux lointains airs de saloon oriental… Au-delà de cette excitation éphémère pour un semblant d’animation, la placidité reprend rapidement ses droits hors du centre de la cité. Des ruelles de terre se croisent et se recroisent géométriquement entre d’innombrables rangées de palissades. Dissimulées derrière celles-ci, des parcelles de terrain acquises par des nomades venus s’installer à la ville. En guise de logis, des yourtes, invariablement… ce qui confère à ces faubourgs de drôles d’allures de camping.
Une histoire haute en couleurs…
Loin de ce tumulte tout relatif, les environs d’Ulaan Suvraga redonnent à la quiétude ses lettres de noblesse. Au milieu de ce paysage lunaire, les teintes corail du “désert peint” s’exposent à perte de vue, plongeant les spectateurs dans une scène presque martienne. L’érosion a accompli une œuvre étonnante, qui renferme également bien des surprises : peintures rupestres et fossiles raviront les amateurs de fouilles archéologiques et de reliques historiques en tout genre. Le “stupa rouge” est sacré et effraie les locaux, mais, pour les étrangers, il ébahit, avec ses courbes qui évoquent la Cappadoce turque. Vingt kilomètres à l’est, le “stupa blanc” de Tsagaan Suvraga lui répond. Cette structure calcaire haute de 30 mètres arbore, elle, des nuances blanches, mais s’avère être tout aussi époustouflante que sa cousine colorée.
Pour l’ultime après-midi de ce road-trip, voilà l’équipage de retour dans l’aïmag de Dundgovi. C’est dans les parages de Baga Gazryn Chuluu que le campement est établi. Des monts rocheux encerclent une cuvette tapissée d’herbe verte et de poussière. Ces colossaux blocs de granit mêlent harmonieusement les tons brique et terre de sienne, dans lesquels de petites taches vives attirent le regard : des étoffes de tissu bleu, jaune, or… jonchent des dizaines de tas de pierres empilées en pyramides. Voici les ovoos, des monticules conçus en hommage aux esprits, qu’on observe dans les lieux élevés.
Cette palette de coloris est exaltée par les langoureux rayons du soleil couchant. Falaises, collines, plaines, sommets… alentour de nos quartiers, la moindre parcelle de nature est sublimée. Oubliées, les prémices de la nostalgie ! L’heure est à la délectation. À son tour, le crépuscule est décidément envoûtant, pour cette dernière soirée.