Zanzibar

Stone Town, Tanzanie : bouillon de cultures à Zanzibar

Par Paul Morinaud / Publié le 27.04.2025

Zanzibar, ses influences swahilies, islamiques, européennes, indiennes… Face aux côtes d’Afrique de l’Est, dans l’océan Indien, la parenthèse “découverte” entre les séjours farniente est captivante. Stone Town, cœur historique de la cité, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, rayonne sur tout l’archipel. Un véritable bain d’épices !

Toits de Stone Town ©jameshammond

Les pieds dans le sable, tartiné de lotion après-soleil à l’aloe vera et affalé dans l’un des nombreux « beach beds » entre paillotes et piscine, je sirote un Blue Monday (à consommer avec modération). Hasard du calendrier, nous sommes un lundi. Pas de transgression non plus côté « blue » : le cocktail envoie son bleu turquoise le plus digne de l’océan Indien qui me fait face, à quelques mètres. Dans la mixture, du curaçao – bleu, évidemment –, du jus de citron vert et du konyagi. Distillée comme du rhum, avec un léger goût de gin et aussi « compatible » que de la vodka, cette eau-de-vie, patrimoine national, jouit d’une sacrée réputation : selon la légende, aussitôt qu’elle touche vos lèvres, vous voilà parti pour une longue, longue nuit… À y regarder de plus près, la bouteille mentionne également le fait qu’elle contient une « Kinywaji safi », ou un « potable spirit », autrement dit un alcool potable. Dans le sens buvable. Une information relativement importante, merci. Étant donné que je ne risque plus rien à me délecter de mon Blue Monday, je peux me concentrer sur mon programme à venir.

Nous sommes lundi soir, donc, et je coule des heures heureuses au New Teddy’s on the Beach, incroyable et magnifique petit complexe hôtelier (bungalows et resto-bar) dans un hameau proche de Jambiani. En gros, dans le sud-est de l’île d’Unguja. Unguja ? Euh, oui, effectivement, il faudrait avant toute chose quelques explications géographico-toponymiques.

Au plus « large », on a l’archipel de Zanzibar. Les « Spice Islands » (Pemba, Latham et… Unguja) plus quelque sept dizaines d’îlets. L’île de Mafia appartient géographiquement à l’archipel, mais pas au gouvernement révolutionnaire de Zanzibar, semi-autonome (associé à Tanganyika, celui-ci avait formé la Tanzanie).

Alors, quid de cette fameuse Unguja ? Eh bien il s’agit de l’île principale de l’archipel/du gouvernement, environ 85 kilomètres sur 30. C’est ici que je suis (pardon, que nous sommes, cher lecteur) présentement, que se déroule notre récit et c’est celle-là même que l’on nomme usuellement (mais à tort) Zanzibar.

Toutefois, Zanzibar, c’est aussi le nom de la capitale du gouvernement semi-autonome, la principale ville d’Unguja. Et la partie historique de cette cité s’appelle Stone Town. Nous voilà presque à destination, en espérant que vous aurez tout suivi, compris, sans qu’une migraine s’instaure suite à tant de complications lexicales.

Du cahotant “dala dala” au rooftop victorien

Pour ma part, mardi matin, pas de mal de tête. La folle soirée soi-disant promise par le konyagi n’est restée qu’au stade de mythe, ou tout du moins embryonnaire. Je suis fin prêt à traverser l’île pour rallier Zanzibar, à l’extrême ouest d’Unguja (c’était le dernier test, promis…). Ça semble facile ainsi, mais il faut tout de même deux heures, grosso modo, en « dala dala ». Si ce n’est l’inconfort, on ne regrette pas le trajet avec ce transport ô combien local. Un cousin gentrifié (ou pas…) du taxi-brousse, avec absence de suspensions, surpopulation et amies volailles de rigueur. Je vous parle du dala dala originel, le petit camion avec bancs en bois installés parallèlement à l’arrière.

Le Waterfont de Stone Town ©rod_waddington

Et Zanzibar se profile enfin ! Si tant est que je puisse me contorsionner pour passer ma tête hors du véhicule, bâché, et voir ce qu’il s’y trame. Point d’âgisme : c’est vers la vieille ville que je me dirige inévitablement. Pour mieux encore m’imprégner de ce nouvel environnement urbain, après ma paradisiaque oisiveté littorale, je fais halte à la Zanzibar Coffee House, bâtisse de la fin du XIXe siècle. Je grimpe les étages, zyeutant les huit chambres aux sobriquets de café (de caturra à arabica, en passant par cappuccino), et gagne le rooftop ; une coquette partie intérieure, abondamment vitrée, portes en teck séculaires, avec épais fauteuils bas, coussins colorés et guéridons en bois ; une étroite terrasse balustrée d’inspiration victorienne, rappelant les plus belles loggias louisianaises ou australiennes. Le vent rend la chaleur plus que supportable. Il fait calme, il fait serein. Quant à la carte, elle comporte aisément de quoi me ravir, crêpes françaises, salades grecques, « chapizza » (pizza à base de chapati, un pain plat indien), « date square » (gâteau aux dattes d’origine canadienne), tarte au fruit de la passion, Mississippi Cake… Étonnant melting-pot ! Alléché, je le suis aussi par la vue : 360 degrés sur toits de tôle, édifices surannés, minarets effilés, ciel céruléen… et, ne serait-ce pas un bout d’océan, là-bas ? Bref, j’ai de quoi voir, et je comprends mieux, surtout, pourquoi Stone Town est Stone Town. La ville de pierre. Des pierres en veux-tu en voilà, elles sont partout.

Pour m’en abreuver, je reviens à hauteur de rue. Et l’effervescence ne tarde guère à reprendre ses droits. Après quelques allées sinueuses, dans lesquelles je pars tranquillement à la chasse aux portes sculptées (elles font la réputation de Zanzibar, qui en recenserait plus de 500 !), je débarque au marché Darajani. Au départ du bâtiment principal, construit début XXe, le bazar a tissé sa toile et s’est emparé d’une conséquente portion des rues, des ruelles, des venelles de Stone Town. Pour un bazar, on peut dire que c’est un bazar : échoppes de tout et de rien, marchands d’épices, de poissons, de quincaillerie, vendeurs à vélo, carrioles inondées de pain, de paniers, de jouets, de fruits et légumes, hommes portant chapeau assis sur les marches en pierre, enchevêtrement de câbles électriques… À nouveau, sacré patchwork.

Quand Freddie Mercury surgit du bazar…

Captivant, certes, mais l’ébullition doit, pour moi, être entrecoupée d’instants plus zen. Je m’oriente – tant bien que mal, le centre est un dédale – vers le front de mer. En chemin, je croise des temples hindous, les bains persans Hamamni, des mosquées, d’autres mosquées, encore des mosquées, puis rattrape la Kenyatta Road. Là, les boutiques se font plus « orthodoxes » et silencieuses. Des bijouteries jouxtent des magasins où les souvenirs « chics » et souvent écoresponsables ont remplacé les babioles. Part belle est pareillement faite aux vêtements et accessoires de créateurs africains, ainsi qu’à l’artisanat en bois.

Je continue à descendre la rue gentiment fréquentée pour tomber nez-à-nez, au numéro 139, avec la maison… de Freddie Mercury ! Oui, oui, le sieur Farrokh Bulsara est né ici, en septembre 1946, et y a passé une partie de son enfance. Avis aux fans (ou aux curieux), vous découvrirez notamment de sympathiques photos exclusives dans ce musée officiellement lié à la production du groupe Queen. La rockstar n’était-elle pas britannique ? Of course elle l’était. En 1946, le protectorat de Zanzibar est encore une colonie du Royaume-Uni. Son histoire parsemée d’occupations étrangères touche presque à sa fin, puisque l’indépendance vis-à-vis de la Couronne est acquise en 1963.

L’historique Tembo House Hotel, ancien consulat américain ©Gentlemen Travellers

Il serait bien trop long (et présomptueux) de relater l’intégralité de la chronologie zanzibarite. Un bref résumé ne ferait toutefois pas de mal pour aider à comprendre l’incroyable mixité architecturo-culturelle des lieux. À travers les époques, les Spice Islands ont constitué un important centre de négoce. Après les premiers habitants, des Bantous, il y a deux millénaires, ce sont les Perses qui envoient Zanzibar dans une autre dimension. Du VIIIe au XVIe siècle, c’est l’essor, l’opulence, en particulier grâce au commerce de l’or, forcément des épices, et malheureusement des esclaves. Les Portugais prennent ensuite les rênes, suivis par les Omanais. Ces derniers exportent de l’ivoire, des clous de girofle (et encore des esclaves) jusqu’au milieu du XIXe. Le sultanat, indépendant quelques décennies, passe sous pavillon britannique en 1890 pour devenir un protectorat. Jusqu’en 1963, donc… On saisit un peu mieux, dorénavant, le creuset d’influences qui baignent Stone Town.

De retour à notre actuelle balade – et après avoir enfin abordé la côte –, la touffeur pèse autant que le poids du passé. Une crème glacée ne serait pas de refus et, agréable hasard, les autochtones en sont tout autant friands que les touristes. Deux des enseignes favorites sont à quelques jets de tongs de moi : Mama Mia et Tamu Italian, avec certains parfums réconfortant aussi bien par leur classicisme que d’autres surprennent par leur exotisme. Un délice ! Enfin, des délices, pour être honnête…

Plutôt festival ciné et/ou brochettes grillées ?

La Mizingani Road, qui longe l’océan, m’emmène vers deux sites majeurs, et voisins, remarquables exemples du paragraphe historique ci-avant. Mon premier stop ? Le fort, Old Fort, une citadelle omanaise, doyen des monuments (fin XVIIe-début XVIIIe). Les remparts sont imposants, menaçants presque. A contrario, on se sent bien à l’intérieur, et pour cause : locaux comme visiteurs peuvent s’y délasser sur les murailles, badiner au café-resto, s’installer dans le bel amphithéâtre pour admirer les jeunes danseurs… En somme, un point de ralliement et de brassage où se tiennent, de surcroît, nombre de spectacles et de festivals artistiques et culturels (cinéma, musique, poésie…).

La célèbre House of Wonders, plus haut bâtiment de Stone Town ©Gentlemen Travellers

Adjacente, une bien nommée merveille, point d’orgue et de repère : Beit el-Ajaib, ou House of Wonders, ou encore, mon appellation préférée, Palace of Wonders. Soit le Palais des Merveilles. Le fort arabe était la construction la plus ancienne, celle-ci est la plus haute. Un nom un peu pompeux ? Certainement pas : ce fut la première maison électrifiée de l’île (peut-être même de toute l’Afrique de l’Est, voire de tout le continent, les sources divergent) et la première à disposer d’un ascenseur ! Quant à ses attributs, ils rehaussent assurément son aura. De l’extérieur, la demeure de 1883 éblouit avec ses vérandas, ses colonnes et ses balcons d’acier. Son intérieur n’aurait pas à rougir : atrium, sols en marbre, décorations en argent importées d’Europe, portes sculptées… Le sultan Barghash bin Said n’avait pas lésiné sur les appas pour son palais cérémonial. L’endroit a ainsi servi à des réceptions sultanesques, puis a accueilli les bureaux du gouvernement, des autorités britanniques, une école et enfin un musée. À propos, « n’aurait pas à rougir » ? Oui, car malheureusement le site est fermé pour rénovation, et la restauration est d’ampleur…

Évacuons donc cette frustration juste en face, aux jardins Forodhani. Quand le soleil s’apprête à se mettre au lit, cette esplanade verdoyante surplombant l’océan Indien se convertit en marché nocturne. Principale motivation des badauds ? Flâner, humer, grignoter, dîner. Stands de brochettes grillées, de naans et autre « urojo » (un bouillon épicé à base de mangue et de curcuma, avec des légumes crus et en beignets) fleurissent pour en mettre plein les papilles et les narines. Je me laisse étourdir par l’aspect quelque peu pimenté du plat traditionnel. « Hakuna Matata ! », pas de problème ! Un vendeur ambulant, loquace et bienveillant, me propose un jus de canne à sucre pour me remettre. Parfait ! Je baptiserai cette doucereuse boisson mon « Blue Tuesday ».