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Timor oriental: périple hors des sentiers battus

Par Paul Morinaud / Publié le 26.01.2025

Gros coup de cœur à partager pour le Timor oriental. En forme de coup de foudre venu de nulle part. Si vous parvenez à y aller, attendez-vous à de l’inattendu… Vous aurez une bonne dose d’histoires à raconter à vos amis, en revenant. Prêt pour l’aventure?

©Gentlemen Travellers

 

Je n’avais absolument aucune idée de ce à quoi le Timor oriental pouvait ressembler. Comme une grande majorité de personnes, il faut l’avouer. Et c’est tout à fait cela qui m’attirait, en réalité. Se plonger dans l’inconnu, débarquer au cœur d’une île mystérieuse, s’émerveiller constamment de l’inattendu.
Autant, parfois, selon la destination, les surprises se font tout en douceur; on retrouve quelques repères, on parle la même langue, on se recrée presque une routine. Autant, au Timor-Leste (le nom international officiel), aucune chance! On évolue typiquement en terre inconnue, avec un “bout du monde” qui prend totalement son sens ici.
Il n’est déjà pas facile d’accéder à cette contrée coincée entre l’Indonésie et l’Australie. Tout du moins pas rapide. Au mieux, une –longue– escale à Bali, Singapour ou Darwin; au pire, un épique périple au départ de Kupang (capitale du Timor indonésien, soit la partie occidentale de l’île) via la frontière terrestre. Jusque-là, rien de trop singulier toutefois, l’exotisme a pour habitude de se mériter.
Dans tous les cas, c’est à Dili, capitale de la jeune (indépendante depuis 2002) République démocratique du Timor oriental que tout le monde débarque. La cité n’est pas très étendue et, surtout, pas très peuplée (moins de 200000 individus). Ainsi, hors marchés, écoles ou autres réunions ponctuelles, on n’y croise pas grand monde. On n’irait pas jusqu’à parler de ville-fantôme, mais certains quartiers résidentiels, où les rues sont très larges et les locaux très assoupis (ou très casaniers), exhalent une étrange atmosphère de far-west. Malgré tout, il n’y a pas de quoi s’ennuyer. En pagaille: d’imposantes bâtisses coloniales héritées de l’ère portugaise, une promenade de bord de mer assortie de chariots de vendeurs ambulants, quelques parcs assoupis où des chèvres égarées règnent en maîtresses, des locaux qui se pressent pour échanger paroles et sourires avec les visiteurs…
Avec la bénédiction de Jean-Paul II…
Bref, suffisamment pour patienter agréablement avant de visiter les “must” des environs. Le plus proche de ces incontournables, c’est le cap Fatucama. Un jet de vélo, de taxi, de mikrolet (minibus) ou d’angguna (un camion dont la benne est aménagée –ou non!– pour transporter des passagers) et voilà que se dévoile cette anicroche du littoral. En guise de point de repère, une statue du Christ haute de 27 mètres, fortement inspirée de celle du Christ Rédempteur à Rio de Janeiro. Dans une nation très majoritairement catholique, inutile de décrire le caractère sacré que revêt le monument. D’autant plus quand on sait qu’il fut béni par le pape Jean-Paul II lors d’une visite, en 1989 (ce que les Est-Timorais ne manquent d’ailleurs pas d’évoquer dans un grand nombre de leurs discussions). A contrario, on se damnerait presque pour se détendre sur la plage Areia Branca, en contrebas. Du sable blanc, quasiment pas une âme dans les parages, des paillotes défraîchies, des transats bancals: un plaisir paresseux qui tutoie l’exaltation avec un cocktail commandé à l’un des bars de plage rustiques.
Autre étape indispensable de tout séjour dilinais, l’île d’Atauro. Rendez-vous le samedi matin, à l’embarcadère principal du port de la capitale, pour larguer les amarres. Le départ hebdomadaire attire une foule hétéroclite de rares touristes, d’insulaires sur le retour et d’officiels en relâche. En une paire d’heures, le ferry rallie la jetée de Beloi au prix d’une somnolente traversée. Pour goûter un parcours légèrement plus mouvementé –ou pour effectuer le trajet n’importe quel jour de la semaine–, il est envisageable d’affréter un bateau de pêcheurs. Soixante minutes supplémentaires seront nécessaires, mais le temps en vaut la chandelle. L’exiguïté sur l’esquif favorise l’enjouement, les sublimes courbes des côtes attirent le regard; la locomotion se hisserait presque au niveau de la destination. Car c’est tout de même bien l’objectif des manœuvres. Trêve de navigation, place à l’exploration. Sur Atauro, le terme “ville” est à oublier. Tout au plus parlera-t-on de village. Le long du littoral est, la seule portion de “route” joint les deux principaux, Vila et Beloi. Des allées poussiéreuses ceignent de minuscules églises pastel, auprès desquelles des enfants saluent gaiement les passants. Hormis sur ce tronçon, où quelques bahuts prennent les piétons au passage, on arpente le reste de l’île en trekking ou en bateau. La côte ouest, très reculée, abrite quantité de spots de plongée. Derrière le masque, coraux, dauphins, baleines, dugongs… De quoi profiter de la douceur de vivre d’Atauro pendant quelques jours, pour les chanceux qui auront décidé de se délecter de charmes coupés du monde.

©Gentlemen Travellers

Ascension au cœur des plantations de café
De retour sur l’île principale, les beautés ne sont pas en reste. Le Timor Leste peut aussi se découvrir à travers les montagnes de l’intérieur. Qu’il s’agisse d’une ascension du mont Ramelau (2963 mètres d’altitude, point culminant), d’une balade au bigarré marché de Maubisse ou d’une halte dans une ex-résidence coloniale des hauteurs, les opportunités de se délecter d’air frais pullulent. Le mode de vie des locaux est ici bien différent de celui des côtiers, mais la gentillesse est tout aussi inévitable. Chaque aventure dans la sauvage nature timoraise, entre somptueux panoramas et marche dans les plantations de café, s’accompagne de rencontres impromptues où la simplicité et la curiosité des habitants ne cessent d’enchanter.
Enchanteresse au même titre, l’ambiance dégagée par Baucau, à trois heures de voiture de Dili. Des bâtiments de l’époque lusitanienne jalonnent les rues tranquilles de cette cité de la côte nord, où l’activité se fait encore plus légère que dans la capitale. L’endroit est idoine pour marquer une pause sur le chemin de l’est, une sorte de dernier contact avec la “civilisation”. C’est la deuxième ville la plus importante du pays, mais les visiteurs étrangers font tout de même sensation… Pour passer la nuit, descendre le long de la mer et rester au lieu-dit Osolata: un bungalow sommaire face au détroit de Wetar, un coucher de soleil qui embrase les flots agités, un sommeil dans un silence irréprochable, puis un petit déjeuner les pieds dans le sable. Le repos mérité du voyageur!

©Gentlemen Travellers

Un tête-à-tête avec une île sacrée
Car il en faut, de l’énergie, pour poursuivre l’itinéraire vers les contrées isolées de l’orient. Au-delà de l’embranchement de Fuiloro, aucun transport régulier ne se dirige vers Tutuala. À moins d’avoir son propre véhicule, il faut donc miser quelque peu sur la chance pour arriver à bon port! Mais au bout du compte, il n’y a vraiment rien à regretter. Le bout du monde n’a jamais mieux revêtu son nom qu’ici. Excepté peut-être à Tutuala Beach, qu’on rejoint par une route caillouteuse en lacets. Un parfait petit bout de plage, une forêt dense qui s’avance jusqu’à l’océan et quelques cases en bois: le nirvana n’est pas loin. Il se rapproche encore un peu plus quand le gérant des lieux raconte l’histoire de son pays, le soir, à la lueur des bougies de la grande hutte commune, après une dégustation de poisson frais.
Et il est complètement atteint quand, sous un beau soleil du matin, on franchit en canot le lagon qui sépare de l’île de Jaco. Ce caillou de 10 kilomètres carrés est sacré: personne n’habite dessus, personne n’y passe la nuit. Il n’y a aucune construction. Rien que des criques de sable d’un blanc si pur qu’il en est aveuglant, des filaos pour assurer quelques recoins d’ombre… On a ici l’exemple absolu et concret de l’île déserte. Les pêcheurs repasseront en fin d’après-midi. D’ici là, Jaco est à moi. Avec un dégradé de toutes les teintes du transparent au bleu outremer, en passant par le turquoise et le vert émeraude, l’eau est si splendide qu’on oserait à peine s’y baigner. Mais l’hésitation est de courte durée, eu égard à ses 27°C. Mon idylle exclusive avec ce paradis est sans nuage. J’ai maintenant une idée plutôt précise de ce à quoi ressemble le Timor oriental. Et il faut avouer que cela me plaît beaucoup.